Dans un village de nos contrées, un curé fit passer un examen aux futurs communiants de sa paroisse. Il s’adresse à un premier enfant : - Qu’a dit le Seigneur en instituant le sacrement du baptême ? – Il a dit, répond l’enfant : « Je te baptise au nom du Père du Fils et du Saint-Esprit ! ». – Très bien ! Et toi demande-t-il à un deuxième, qu’a-t-dit pour l'Eucharistie ? – Il a dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps, ceci est mon sang », répond le deuxième enfant. – Parfait ! Et toi, demande-t-il à un troisième, qu’a dit le Seigneur en instituant le sacrement de mariage ? - Heu... Ah oui ! C’est quand il a dit : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ».
Aussi étonnant que cela puisse paraître, je pense que sa réponse est correcte. En effet, lorsque nous nous engageons dans le mariage, dans la vie religieuse ou tout autre choix de vie, nous ne connaissons pas l’avenir. Dans une relation d’amour, deux êtres humains vivent le passage d’une expérience initiale de tomber amoureux à un état permanent d’être amoureux, c’est-à-dire de choisir de se tenir dans l’amour. En effet, aimer ne relève pas seulement de la puissance d’un sentiment – mais bien d’une décision, d’une promesse : celle de passer toute sa vie aux côtés de l’être aimé. Nous prenons ainsi conscience que l’amour est un art. C’est en ce sens que le Christ ne nous enferme pas dans une loi mais reprend de la hauteur en nous remettant la relation dans la perspective de la Création. Cet art consiste essentiellement à donner, plutôt qu’à recevoir. En effet, n’est pas riche celui qui possède mais plutôt celui qui donne. Ou pour le dire encore autrement quiconque est capable de donner de lui-même est un être riche. Qu’est-ce à dire ? Que donne un être à un autre lorsqu’il aime ? Il donne tout tendrement de lui-même, de ce qu’il a de plus précieux : il donne de sa vie c’est-à-dire qu’il donne ce qui est vivant en lui : sa joie, sa bienveillance, sa compréhension, sa douceur, parfois aussi sa tristesse. En donnant ainsi de sa vie, l’être aimé enrichit l’autre. Mieux encore, il ne donne pas dans l’intention de recevoir, car le don constitue comme tel une joie exquise. Mais reconnaissons-le, en donnant, l’être aimé ne peut empêcher que rejaillisse sur lui ce qu’il engendre à la vie chez l’autre ; en donnant véritablement, il ne peut éviter de recevoir ce qui lui est donné en retour. Dès lors que l’un donne, l’autre devient également un donneur et au sein du couple, tous deux participent à la joie de ce qu’ils ont engendré à la vie. C’est ce que tout couple peut découvrir tout au long des années passées ensemble. L’amour n’est donc possible que si deux êtres communiquent entre eux à partir du cœur de leurs existences respectives, du fondement de leur être. En ce sens, l’amour devient un défi constant ; il n’est pas un lieu de repos, mais un mouvement, une croissance, un travail réalisé en commun, ou encore un peu comme Dieu nous le demande, une création à parfaire. Il est dès lors essentiel de faire l’amour puisque l’amour est toujours à faire. L’amour est bien un art. Et toute pratique d’un art exige de la discipline, de la concentration, de la patience et un suprême souci de maîtriser cet art. Cette maîtrise passe par le respect, c’est-à-dire par cette capacité de percevoir la personne aimée telle qu’elle est, d’être conscient de son individualité propre. C’est avoir ce souci qu’elle puisse croître et s’épanouir à partir de son propre être. L’art de l’amour consiste ainsi à être capable de percevoir la réalité de l’être aimé. Ou pour le dire autrement : « Je désire que tu croisses et que tu t’épanouisses selon tes propres intérêts et par tes propres voies, et non dans le but de me combler ». L’amour accompli peut alors se dire : « j’ai besoin de toi parce que je t’aime ». Voilà ce que le Christ nous demande aujourd’hui. Reprenons de la hauteur par rapport à nos choix de vie, remettons-les dans la perspective de ce que Dieu attend de chacune et chacun de nous. L’être humain n’est pas fait pour rester seul. Il est appelé à aimer, mieux encore à devenir un artiste de l’amour de soi, un artiste de l’amour de l’autre au nom de l’amour du Tout-Autre.
Amen