3e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 1997-1998

« Je me casse que Jésus soit ressuscité, pour moi c'est le message qui est le plus important. Ma foi en la morale est plus forte que ma foi en Dieu », disait l'un d'entre nous en préparant cette eucharistie dominicale. Nous pourrions nous étonner de tels propos, cependant je crois qu'ils seront partagés par de nombreuses personnes de notre assemblée. C'est vrai, il est plus facile de croire en des valeurs de vie, qui nous aident à nous construire, que de croire en ce mystère, cette énigme, voire même cette question qu'est Dieu.

Celui-ci se révèle à nous de manière intéressante dans l'évangile de ce jour. Nous retrouvons un Christ que ses propres disciples ne reconnaissent pas. Et malgré cela, ils continuent de lui obéir et constatent que cette obéissance leur sera bénéfique. Ce soir, nous n'avons pas souhaité nous arrêter sur la pêche miraculeuse des 153 poissons représentant l'humanité entière mais plutôt sur le dialogue entre Jésus et Pierre. Quelqu'un me disait un jour que les « je t'aime » prononcés et offerts sont plus souvent des questions appelant une réponse similaire plutôt qu'une affirmation. C'est possible, je reste cependant convaincu que les « je t'aime » véritables sont ceux qui ne demandent aucune réponse, si ce n'est l'espace entre deux êtres pour que de tels mots puissent se chanter. S'il est vrai qu'ils sont trop souvent encore dans notre société difficile à dire, combien plus serons-nous mal à l'aise si nous avions à poser la question, « et toi, m'aimes-tu ? ». Nous ne la posons pas, pour ne pas embarrasser l'autre et peut-être aussi pour ne pas être déçu de sa réponse. En amour, en amitié, on ne ment pas... au risque de tout perdre sinon.

Le dialogue entre Jésus et Pierre est d'autant plus intéressant qu'il se situe à deux plans différents que le texte français occulte par sa pauvreté de langage. Nous sommes alors retourné au texte grec. Rappelez-vous, comme je l'ai déjà souvent dit, dans cette dernière langue, il y a plusieurs mots pour aimer. Le texte de ce soir nous en offre deux. D'abord, l'amour d'agapé, c'est-à-dire l'amour de raison, celui qui exige un acte de la volonté pour respecter chaque être qui nous entoure, lui donner l'espace nécessaire pour qu'il ou elle puisse se réaliser, s'accomplir sur le chemin de sa destinée. Vient ensuite, l'amour de philia, l'amour d'amitié, celui qui vient du coeur, que l'on ne peut justifier. Celui qui nous lie à l'autre par les sentiments. Amour de raison, amour d'amitié, deux types de relation. Nous savons au plus profond de nous-mêmes que nous ne pouvons nous contenter de nos solitudes, nous sommes avant tout des êtres de relation. Par trois fois, Jésus demande à Pierre s'il l'aime. Lors des deux premières questions, Jésus, dans le texte grec, pose la question en termes d'amour de raison que l'on pourrait traduire par « me respectes-tu, me permets de vivre ma vie comme moi je le désire » et Pierre réponds chaque fois « oui, je t'aime » mais son amour est un amour d'amitié. Ce n'est qu'à la troisième question que le Christ pose sa question d'aimer en terme d'amour d'amitié. Entre eux, il y a d'abord, le respect d'une autonomie nécessaire pour que la relation puisse s'établir. Ayant la conviction que cet espace existe entre eux, Jésus peut alors demander à Pierre si au-delà du respect, il y a des sentiments.

La relation entre le Christ et Pierre peut aujourd'hui encore dire quelque chose de notre propre relation à Dieu. Nous sommes conviés à ne pas nous enfermer dans une relation de raison, une relation intellectuelle, philosophique. La foi comporte aussi sa part de sentiments. Elle est un sentiment instinctif que nous essayons de comprendre tout au long de notre vie. Elle nous donne un cadre de valeurs. Et ce cadre, loin de nous emprisonner, nous donne des balises pour arriver à mieux vivre notre humanité telle que Dieu l'a vécue en se faisant homme. Pour nous le Christ devient un chemin à suivre pour vivre un jour le partage de sa divinité. Que préférons-nous, un amour de raison, un amour des valeurs ou un amour d'amitié, un amour de relation entre Dieu et nous ? Agapè ou philia ? A nous dans le plus secret de son être d'en décider.

Amen.