15ème dimanche du temps ordinaire (année C)

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 14/07/19
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2018-2019

Il y a fort à parier, parmi les nombreux commentaires qui vous ont été donnés, ou que vous avez pu lire, à propos de cette parabole du Bon Samaritain – tellement connue qu’elle est devenue une expression courante – il y a fort à parier qu’on vous a martelé : être chrétien c’est être un « Bon Samaritain ».

Ce n’est pourtant pas ce que dit le texte. En tous cas, pas exactement.

Ajoutant l’enfumage à la distraction, on aura sans doute souligné qu’un Prêtre et un Lévite, deux religieux, deux serviteurs de Dieu au Temple, ont préféré détourner leur chemin – on reconnaît bien là le clergé hypocrite, tellement imbu de lui-même ;-) – et si on voulait obscurcir la compréhension complètement, on ajouterait que c’est pour préserver leur pureté rituelle qu’ils ont préféré ne pas se souiller avec un malheureux.

Il se peut que vous ayez été l’otage de cette interprétation antireligieuse de la parabole : au fond le véritable Christianisme ne serait pas d’aller prier au Temple, encore moins de se soucier de principes ou prescriptions religieux, a fortiori d’encens et de liturgie ; le véritable Christianisme c’est aider les pauvres, soulager la souffrance, soi-même apporter le Salut.

C’est la fameuse phrase : « Moi le Christ, c’est dans la rencontre avec les autres que je le trouve » tellement emblématique qu’elle fonctionne comme un slogan de ce « christianisme » exclusivement social dont nos églises vides ne finissent pas de constater l’agonie.

On a perdu le Christ si on réduit le Christianisme à un vis-à-vis entre nous, à la rencontre sociale, fût-elle bienveillante et charitable. Mon amour pour autrui n’est jamais à la hauteur de l’amour que Dieu lui prodigue ; ni même l’amour d’autres pour moi. Les athées sont tout autant capables que nous d’aimer. L’entre-soi ne suffit pas à incarner la présence de Dieu.

 
Comprenez-moi bien : je ne dis pas ici qu’il ne faut pas aimer et aider son prochain – Jésus, explicitement, le dit – je dis que le prochain dans la parabole ce n’est pas l’homme blessé, attaqué par les bandits ; le prochain qu’il faut aimer, que le Christ nous désigne dans la parabole, c’est le Samaritain. C’est lui qu’il faut aimer comme soi-même.

Reprenons le fil.

Un docteur de la Loi – c’est à dire un homme instruit, un théologien – entre en discussion avec Jésus. C’est une joute oratoire – le pilpoul, traditionnel, encore de nos jours, dans les école talmudiques juives. Sa question est « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? ». Jésus le renvoie à la Loi, son domaine d’expertise : « aimer Dieu de tout son cœur de toute son âme et de toute sa force et aimer son prochain comme soi-même ». Remarquez que ce n’est pas Jésus qui invente le commandement d’aimer, qui amène cette idée d’aimer son prochain.

Le savant renchérit : qui est mon prochain ? En deux questions on est arrivé à la pierre d’achoppement entre Jésus et le judaïsme traditionnel ; qui restera pierre d’achoppement entre juifs et chrétiens, à savoir celle de l’universalité du Salut. Mon prochain, est-ce n’importe qui ou seulement un proche ? Jésus répond par une parabole.

Il met en scène un Samaritain, c’est à dire pour ce docteur de la Loi, non seulement un étranger mais pire : un hérétique. Juifs et Samaritains se vouaient en effet une haine religieuse féroce. On se rappelle qu’il y a quelques semaines nous avons lu qu’un village de Samaritains refusait de recevoir Jésus et ses disciples … parce qu’ils se rendaient à Jérusalem ! Pour ceux qui écoutent la parabole, un Samaritain c’est d’abord un ennemi religieux. Aujourd’hui peut-être, Jésus invoquerait-il plutôt un musulman … en tous cas, un personnage qui choque religieusement.

A la toute fin de la parabole, c’est Jésus qui pose une question « Qui a été le prochain
de l’homme tombé aux mains des bandits ? » … Si on n’est pas attentif, on ne se rend pas compte qu’il a inversé la logique. On s’attendrait à ce qu’il demande : « Qui a considéré l’homme blessé comme son prochain ? » « Lequel du Samaritain, du Prêtre ou du Lévite a aimé cette homme comme Dieu lui demande d’aimer ? » Mais ce n’est pas la question qu’il pose. « Qui a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Autrement dit : « qui l’homme blessé considère-t-il, lui, comme le prochain qu’il va aimer comme lui-même ? »

L’enjeu n’est pas de remarquer que le Samaritain – ce méprisable étranger – a considéré l’homme blessé comme son prochain, l’a aimé et l’a très généreusement aidé ; cela va de soi pour Jésus. Non ! Ce qu’il fait ici c’est répondre à la question initiale du docteur de la Loi : « que dois-je faire pour être sauvé ? » Jésus répond : « Comme cet homme blessé, tu dois aimer celui qui te semble étranger – religieusement autre – et qui fait pourtant preuve de pitié envers toi »

On se rend compte ainsi que le Bon Samaritain n’incarne pas seulement le commandement d’aimer son prochain, d’être charitable au-delà des conventions et des clivages – je le redis, pour Jésus cela va de soi – non ! le Bon Samaritain, l’étranger qui sauve, l’homme qui semble religieusement autre, c’est le Christ lui-même. Et le lecteur attentif aura remarqué que, dans la parabole, le Bon Samaritain propose de repasser régler le solde des dépenses : c’est évidement une image du retour du Seigneur à la fin des temps.

Dieu qui nous sauve arrive forcément, à un moment donné, comme l’étranger que nous méprisons. Dieu est quelque part toujours un hérétique par rapport à mon propre conformisme religieux, à l’idée préconçue que j’ai de vivre la religion ; c’est précisément comme ça qu’il me sauve : en étant quelque part étranger à ma manière propre d’envisager mon salut. Sinon pourquoi ne pas me laisser agir seul, puisqu’il m’a voulu libre, capable de d’amour et de discernement ? Un Dieu qui me sauve doit aussi être un Dieu qui me sauve aussi de moi-même, de mes propres stéréotypes religieux, de mes propres enfermements.

Le Christ, bien sûr, veut se faire proche de tous – je l’ai dit : c’est le coté évident, allant-de-soi de la parabole – mais il faut quelque part que Dieu me bouscule, m’indispose jusqu’à m’irriter de sa présence, pour me sortir de mon conformisme religieux, synonyme de sclérose spirituelle. Dieu n’est pas qu’à l’image des gens que j’aime ; il est aussi à l’image des gens que j’aime le moins, qui me dérangent.

La parabole du Bon Samaritain ne nous demande pas d’aller sauver le monde ; elle nous avertit que le sauveur du monde arrive toujours, avant tout, comme celui que l’on méprise.