17ème dimanche du temps ordinaire (année C)

Auteur: Laurent Mathelot
Date de rédaction: 28/07/19
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2018-2019

Je suppose que celles et ceux qui n’aiment pas tant l’extrait du livre de la Genèse que nous venons de lire, n’y voient qu’un marchandage d’Abraham avec Dieu, un commerce, une négociation dans la prière. Pour eux, prier ce n’est pas ce genre de négoce, de petit trafic spirituel, d’enchères avec Dieu. Tout au plus le voient-ils comme un simplisme, ou un archaïsme, peut-être la trace dans la Bible de cultes primitifs où ils fallait des offrandes en échange de faveurs divines. Au fond, quel est le sens, de parler encore aujourd’hui de ce genre de troc spirituel : « à partir de combien de justes par ville, retiens-tu ta colère ô Dieu ? » « Quel est le service minimum pour échapper à ton courroux ? »

Je crois qu’ainsi on passe à coté du texte. Reprenons.

Dans un superbe jeu entre pluriel et singulier – qui est dans le texte hébreux et que la traduction française rend bien – trois hommes sont venus visiter Abraham pour, d’une seule voix – la voix de Dieu – conclure avec lui une alliance. Les Pères de l’Église ont vu, dans cette image de trois personnes, qui parlent et qu’Abraham considère comme n’en étant qu’une, la préfiguration dans l’Ancien Testament de la Trinité.

Abraham vient de sceller l’alliance avec Dieu par la circoncision des siens : l’intention de Dieu est claire, faire d’Abraham et de son clan l’incarnation sur Terre de sa justice – devenir son peuple. Et précisément, le jugement de Sodome est présenté, par le verset qui précède le passage que nous venons de lire, comme une leçon de justice que Dieu donne à Abraham et aux siens.

Si on lit attentivement, on constate que c’est Abraham qui entre en négociation ; c’est d’Abraham qu’émane l’idée de « compter les justes » et, à chaque décompte Dieu marque son accord.

On reste cependant sur sa faim – et le texte se termine effectivement comme ça : il s’arrête à dix. Et à la lecture d’aujourd’hui, il manque le dernier verset  [Gn 18, 33] : « Quand le Seigneur eut fini de s’entretenir avec Abraham, il partit, et Abraham retourna chez lui. ». OK, 10 ! Tope-la ! Tchao ! …

Il aurait pu aller jusque un. Pourquoi dix justes pour sauver une ville ? Dix c’est à l’époque la taille d’une maisonnée, d’une famille sous le même toit. Un, on se doute bien que c’est le Christ, dont la seule présence en effet sauve le monde. Une famille de justes – un toit qui accueille Dieu – et rien n’est perdu pour la ville … Voilà la mesure de la justice que Dieu nous demande d’avoir.

C’est peut-être un texte qu’il faut relire à nouveau frais, en ces temps de complète déchristianisation de nos cités. Un foyer, une famille accueillant généreusement la présence de Dieu et la ville conserve la perspective d’être sauvée. Peut-être gagnerions-nous à raviver ce critère de jugement : un foyer par ville, avant de parler d’Église vide.

Voilà qui change – je trouve – notre regard sur la mission actuelle. Ce n’est pas une question de nombre … Du point-de-vue de Dieu, c’est juste la question d’être ce foyer, accueillant de sa présence.

Un autre regard sur la prière, nous est donné par Jésus dans l’Évangile. Il répond aux disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier. C’est étonnant parce qu’il vient de leur parler des commandements et notamment d’aimer Dieu «  de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force et de toute son intelligence ». N’est-ce pas cela finalement prier ?

C’est un exercice intéressant, qu’il faut faire régulièrement, je pense ; ne fusse-ce que pour éviter le rabâchement – c’est un exercice intéressant de détailler le Notre Père phrase à phrase et d’en méditer le sens ; ainsi que le sens de cette prière au cœur de l’espérance chrétienne. Je ne vais le faire ici. A vous, si vous le souhaitez, de faire l’expérience spirituelle de prier le Notre Père en le méditant par le détail. Je vous encourage à le faire.

La parabole qui suit est absolument touchante : Dieu est un ami qui dort la nuit et dont nous venons parfois inopportunément troubler le repos. « prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir ». On peut voir là une certaine urgence eucharistique : je n’ai pas de nourriture spirituelle à proposer … Dieu sort de ta torpeur et viens me dépanner. Lève-toi et donne moi de ta substance que je puisse spirituellement nourrir les miens. Et Jésus conclut : Dieu « se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. ».

Même si vos demandes sont inopportunes ou incongrues : « frappez, on vous ouvrira » ; « demandez, on vous donnera » même si vous êtes complètement perdus : « cherchez, vous trouverez ».

Cette image de Dieu comme un vieil ami bougon que l’on réveille la nuit pour quelque chose qui pouvait attendre le jour est touchante de délivrance. Au fond, ce que dit Jésus c’est : ne vous inquiétez pas de demander à temps et à contre-temps ; même si votre demande est inopportune, demandez ! Demandez sans cesse à Dieu ; formulez encore et encore vos demandes. Lui vous donnera l’Esprit.

Et c’est la conclusion étonnante de la parabole : Finalement Dieu exauce toujours nos prières par le don de l’Esprit.

Tu as faim, tu as soif, tu as froid ? Voilà mon Esprit d’amour.
Tu souffres, tu as mal, tu veux la guérison ? Voilà mon Esprit d’amour.
L’injustice te révolte, tu es toi-même victime de mépris : voilà mon Esprit d’amour.
Tu n’en peux plus ; tu as le sentiment de perdre le sens de la vie : voilà mon Esprit d’amour.
T’es au bout du rouleau ; tu meurs : voilà mon Esprit d’amour.

Quoi que nous demandions à Dieu, c’est toujours un surcroît d’Esprit Saint qui nous arrive, à travers nous, ou à travers autrui. Dieu ne résout pas nos problèmes à notre place, il nous donne l’Esprit pour les affronter. Et alors, en conséquence, tout change : se produit inéluctablement, d’une manière ou d’une autre, un retour à la Vie.

Le fond de toutes nos prières c’est cela : « Ravives en moi la flamme de ton amour. Quelle que soit la désespérance en moi ou autours de moi : ravives en moi la flamme de ton amour »

Parce que, depuis Abraham, nous savons qu’un seul foyer d’amour suffit, au sein d’une ville plongée dans les ténèbres, pour tout sauver aux yeux de Dieu.