13ème dimanche

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 26 juin 2022
Auteur: André Wénin


« Tu m’apprends le chemin de la vie, Seigneur :

devant ta face, débordement de joie ! »
(Psaume 16,11)

Appel d’Élisée (1 Rois 19,19-21)

[Le Seigneur avait dit à Élie : « Tu oindras Élisée, fils de Shafat, comme prophète à ta place. »]
Élie s’en alla. Il trouva Élisée, fils de Shafat, en train de labourer. Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Élie passa près de lui et jeta vers lui son manteau. Alors Élisée abandonna ses bœufs, courut derrière Élie, et lui dit : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis j’irai derrière toi. » Élie répondit : « Va-t’en, retourne ! Que t’ai-je fait ? » Élisée s’en retourna ; il prit la paire de bœufs et il les immola, fit cuire la viande avec le bois de l’attelage et les donna aux gens (de sa famille) qui mangèrent. Puis il se leva, s’en alla derrière Élie et se mit à son service.

Bon ! Je ne vais pas reprendre mon refrain habituel sur l’idiotie des découpages des textes de l’Ancien Testament dans la liturgie. Le Seigneur demande à Élie de consacrer une autre personne comme prophète « à sa place » (donc pour le remplacer, et non pour lui « succéder », comme le dit la traduction officielle). Dieu projette de démettre Élie de ses fonctions après qu’il a abusé de sa position et de son pouvoir pour semer la mort (serait-ce d’actualité ?). Il lui demande d’accepter cette décision en utilisant pour une dernière fois son autorité pour légitimer celui qui va prendre sa place comme porte-parole et fondé de pouvoir du Seigneur. Élie semble se plier à la décision divine : en quittant le lieu de la rencontre avec Dieu (l’Horeb), il se rend chez celui que ce dernier a désigné. Mais plutôt que de procéder à l’onction qui consacrera Élisée comme prophète, Élie se contente de lui jeter son manteau, signe de son pouvoir prophétique, mais sans ajouter un mot.
S’il s’agit d’un test de disponibilité, Élisée le réussit haut la main : il abandonne son outil de travail alors qu’il a quasiment terminé l’ouvrage et court vers le prophète à qui il demande de pouvoir prendre congé des siens avant de le suivre. Requête on ne peut plus raisonnable ! Mais Élie semble sauter sur l’occasion pour le renvoyer à son travail, en lui disant d’oublier ce qui vient de se passer. Sans doute n’a-t-il pas envie de céder sa place… (ce qu’il ne fera d’ailleurs jamais avant d’être enlevé au ciel). Qu’à cela ne tienne : Élisée s’éloigne comme Élie le lui a dit, puis pose un geste qui manifeste à toute la famille qu’il n’a aucune intention de revenir à son ancienne vie. Il rompt ainsi avec son passé avant de partir sur les traces d’Élie au service duquel il se met ensuite. La liberté dont témoigne Élisée contraste fortement avec la réticence du prophète à lui céder la place en obéissant à l’ordre de Dieu !

Accompagner Jésus ? (Luc 9,51-62)

Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé, Jésus, le visage déterminé, se mit en route vers Jérusalem. Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer pour lui. Mais ils refusèrent de l’accueillir, parce qu’il faisait route vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu descende du ciel et les détruise ? » Mais Jésus, se retournant, les réprimanda. Et ils partirent pour un autre village. En cours de route, quelqu’un lui dit : « Je t’accompagnerai partout où tu iras. » Jésus lui dit : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel font des nids ; mais le Fils de l’humain n’a pas où reposer la tête. » Il dit à un autre : « Accompagne-moi. » Il répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » Mais il lui dit : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. » Un autre encore lui dit : « Je t’accompagnerai, Seigneur ; mais d’abord permets-moi de faire mes adieux à ceux de ma maison. » Jésus lui dit : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas fait pour le règne de Dieu. »

Ce passage de l’évangile de Luc marque le début du « grand voyage » qui occupe la deuxième partie du récit et s’achève quand Jésus, parti de Galilée, est à Jérusalem (en 19,48). Peu avant son départ, Jésus a annoncé sa Passion à deux reprises (9,21.44). Il est donc conscient de ce qui va lui arriver et qu’il voit comme un « enlèvement », allusion à sa mort et à son ascension (une des dimensions de la résurrection). « Durcissant sa face », comme le Serviteur d’Isaïe affrontant l’adversité (Is 50,7), il prend donc la route de cette ville sainte qui rejette et assassine les prophètes que Dieu lui envoie (voir Luc 13,34). Tout au long de son voyage, Jésus apparaît comme un homme sans demeure, quelqu’un qui passe, comme une occasion à saisir. Sa route est émaillée, en effet, par de nombreuses rencontres au cours desquelles il guérit, réconcilie, enseigne. Elle est marquée aussi par l’opposition croissante que Jésus rencontre. La série de petites vignettes qui ouvre cette partie donnent le ton de ce qui va suivre.
La première opposition que Jésus rencontre est celle des Samaritains qui refusent de l’accueillir parce qu’il se rend dans une ville qu’ils considèrent comme hostile. Les disciples Jacques et Jean – qui ont assisté à la transfiguration avec Pierre – proposent de leur infliger un châtiment exemplaire en jouant les « petits Élie », lui qui, pour forcer le peuple à renoncer aux idoles pour adhérer à son dieu, a fait descendre le feu du ciel sur le sacrifice qu’il avait préparé, une belle démonstration de puissance ! Non, dit Jésus, qui refuse catégoriquement tout recours à la violence contre ceux qui se comportent en adversaires. Lui qui est venu pour la paix, il n’emploiera pas les méthodes d’Élie. Cette attitude annonce celle qu’il adoptera tout au long de la passion (voir 22,50-53 ; 23,8-9.34).

Viennent ensuite trois rencontres où il est question d’accompagner Jésus dans son voyage. Elles sont relatées selon un même schéma, qui sert à mettre en relief une parole rude de Jésus à son interlocuteur, dont la réaction n’est jamais rapportée. Le premier se présente en exprimant sa décision de suivre Jésus où qu’il aille. Celui-ci lui fait sentir ce à quoi ses paroles l’engagent, en parlant de sa propre condition. En suivant leur nature, renards et volatiles s’installent quelque part pour avoir un abri et y trouver une certaine sécurité. Il n’en va pas de même pour Jésus – et donc aussi ceux qui l’accompagnent. Il ne suit pas la pente naturelle des humains : désinstallé, il vit dans le provisoire, l’incertain, nomade sans repos.

Jésus interpelle lui-même la deuxième personne en l’invitant à se mettre en route avec lui. Mais une urgence l’empêche de le faire sur-le-champ : son père est décédé et il doit accomplir son devoir de fils. Cet empêchement très temporaire est compréhensible et même conforme à la Loi qui prescrit d’honorer son père. La réponse de Jésus est cinglante : l’accompagner, c’est rompre avec ce qui est humainement « normal », car annoncer que Dieu est roi passe avant tout. Cette annonce requiert de s’arracher à tout ce qui a à voir avec la mort – fût-ce celle du père – pour annoncer le seul Père de la vie. Accompagner Jésus suppose d’opter résolument pour la vie.
Un troisième semble répondre lui aussi à un appel de Jésus et se montre prêt à l’accompagner une fois qu’il aura fait ses adieux à sa famille. Une scène qui ressemble à celle d’Élie et Élisée. Jésus reprend d’ailleurs l’image du labour à la scène du livre des Rois pour déclarer – dans une sorte de maxime – que regarder en arrière n’est pas conforme aux attentes de Dieu. Préparer son Règne, c’est aller de l’avant sans regret du passé, en particulier de ceux à qui l’on est attaché parce qu’on leur appartient. Se faire libre, voilà l’essentiel.

Ces réparties sans ménagement de Jésus paraîtront dures, voire inhumaines. Elles reflètent sans doute ce qu’exigeait, à la fin du 1er siècle, le fait d’être un prédicateur itinérant de l’évangile, une « vocation » qui n’était pas celle de tout chrétien. Elles n’en ont pas moins le mérite de mettre en lumière la radicalité de l’évangile. Faire route avec Jésus suppose du disciple qu’il rompe avec la vie ordinaire, avec ce qui lui est familier, naturel. Car choisir la vie demande de renoncer à tout ce qui peut l’entraver, la paralyser ou la neutraliser. Dans sa dureté désarçonnante, cette page de Luc a le mérite de rappeler que Jésus n’a rien d’un homme gentil ou mièvre, et que la voie de son évangile est exigeante.

La liberté du chrétien (Lettre de Paul aux Galates 5,1.13-18)

Frères, c’est pour la liberté que Christ nous a libérés. Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage. […] Vous, frères et sœurs, vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte à la chair ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres. Car toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. Je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint, et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair. Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit, et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair. En effet, il y a là un affrontement qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez. Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit, vous n’êtes pas soumis à la Loi.

Pour Paul, la liberté est un don capital que le Christ fait au chrétien. L’« esclavage » dont celui-ci est libéré, c’est celui de la Loi de l’Ancien Testament (comme il le dit dans les versets omis dans la lecture), c’est-à-dire l’obligation de se conformer à des commandements comme condition pour avoir la vie. Mais une fois libéré de la loi, le chrétien doit prendre garde à ne pas devenir esclave de ses propres désirs naturels (ce que Paul nomme « la chair »). Car le Christ libère pour l’amour. Cela a deux conséquences : l’amour d’autrui accomplit toute la Loi ancienne et c’est pourquoi il dispense de se plier à ses autres préceptes ; cet amour suppose de renoncer à l’égocentrisme, à ce qui pousse quelqu’un à faire des autres des satellites de son propre désir et à tout considérer comme un dû – ce que Paul appelle « les convoitises de la chair ». Agir ainsi, c’est agresser les autres en vue de les dévorer (de les phagocyter), un comportement inhumain qui finit toujours par se retourner contre celui-là même qui le fait sien. Aimer, au contraire, c’est se faire le serviteur (en grec doulos, esclave) des autres et accepter d’être servi par eux : c’est à cela que pousse l’Esprit du Christ Jésus.

La suite vaut la peine d’être lue, car Paul entre dans le concret : « Les œuvres de la nature humaine [chair] sont évidentes : ce sont la dépravation sexuelle, l’impureté, la débauche, l’idolâtrie, la magie, les haines, les querelles, les jalousies, les colères, les rivalités, les divisions, les sectes, l’envie, l’ivrognerie, les orgies et les choses semblables. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait : ceux qui ont un tel comportement n’hériteront pas du royaume de Dieu. Mais le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la confiance, la douceur, la maîtrise de soi.

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin