31ème dimanche ordinaire

Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique: C
Date : 30 octobre 2022
Auteur: André Wénin

« Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour ; la bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres »

(Psaume 145,8-9)

Un Maître aimant (Sagesse de Salomon 11,22–12,2)

[Seigneur,] le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. Pourtant, tu as pitié de tous, parce que tu peux tout. Tu fermes les yeux sur les péchés des humains en vue de la conversion. Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers rien de ce que tu as fait : si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé ! Comment quelque chose aurait-il subsisté, si tu ne l’avais pas voulu ? Comment aurait-il été préservé, si tu ne l’avais pas appelé ? En fait, tu es clément avec tous les êtres, parce qu’ils sont à toi, Maître ami des vivants, car ton souffle impérissable est en eux tous. C’est pourquoi, ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, et, leur rappelant en quoi ils font erreur, tu les avertis, pour que, se détournant du mal, ils se fient à toi, Seigneur.

L’auteur du livre le plus récent de l’Ancien Testament témoigne ici de ce qui, à ses yeux, est un trait essentiel du dieu auquel il croit. (C’est aussi ce que fait le psalmiste dont la phrase est reprise ci-dessus.) Dans la seconde partie de son livre, ce sage réfléchit à partir de divers épisodes de l’histoire d’Israël, en particulier l’exode. Il en tire des leçons qui rejoignent sa propre expérience de croyant. D’emblée, se basant sur les plaies d’Égypte, il affirme que Dieu est fort : « Ta grande force est toujours à ta disposition : qui résistera à la vigueur de ton bras ? » (Sagesse 11,21). C’est ce qu’il illustre par une double métaphore : face à Dieu, le cosmos tout entier ne pèse rien, pas plus qu’une goutte de rosée. Mais ce qui le caractérise est moins cette puissance que la maîtrise qu’il garde sur elle. Ce n’est pas elle qui lui dicte son agir, mais sa miséricorde. Celle-ci ordonne sa toute-puissance (« tu peux tout ») à la bienveillance qui l’amène à passer outre aux errances des êtres humains, dans l’espoir qu’ils trouvent le chemin du repentir.

Pour appuyer ces affirmations audacieuses, l’auteur prend appui sur ce qu’il croit du dieu créateur et sur ce qu’il constate autour de lui : les humains restent en vie même s’ils font fausse route, s’ils chutent, s’ils sont « pécheurs ». Le sage y voit le signe que Dieu aime toutes les créatures, qu’il est un « maître ami des vivants », incapable de haïr ou d’éprouver de la répugnance pour ceux que lui-même a faits en les appelant à la vie. Voilà ce qui le conduit à épargner tous ceux qui sont animés par la puissance de son souffle vital. Non seulement il les croit capables de se convertir, mais il fait tout pour cela, comme le sage le souligne en finale. Quand un humain tombe, Dieu se fait pédagogue. Il commence par le reprendre en douceur, puis il lui fait voir l’erreur qui pourrait lui être fatale. Une telle leçon vise à le rendre lucide sur les conséquences dangereuses de sa façon de vivre. L’espoir de Dieu est que la personne perçoive clairement que sa conduite est mauvaise, voire méchante, et que, ayant ainsi ouvert les yeux, elle s’en détourne pour se tourner avec confiance vers le dieu ami de la vie et des vivants.

Un peu plus loin, le sage poursuit la même réflexion : « Ta force est la source de ta justice et ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous. Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir absolu est mis en doute et il confond l’insolence de ceux-là mêmes qui reconnaissent ce pouvoir. Mais toi qui maîtrises ta force, tu juges avec bonté et tu nous gouvernes avec tant de ménagements ». Il conclut : « En agissant ainsi, tu as appris à ton peuple que le juste doit être ami des humains et tu as rempli tes fils [et tes filles] d’espérance puisque tu offres le repentir pour leurs errances » (Sagesse 12,16-18a.19, trad. TOB légèrement modifiée).

Trois regards sur Zachée (Luc 19,1-10)

Entré dans Jéricho, Jésus la traversait. Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et il était riche. Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui allait passer par là. Quand il arriva à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. » Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie. Voyant cela, tous récriminaient en murmurant : « Il est allé loger chez un homme pécheur. » Zachée, debout, dit au Seigneur : « Voici, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rends quatre fois plus. » Alors Jésus lui dit : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’humain est venu chercher et sauver ce qui est perdu. »

Ce bref récit oppose trois regards sur un même homme. Luc l’introduit en quelques traits qui sont autant de faits : son nom, son statut de collecteur d’impôts en chef, sa fortune conséquente. Dans la société palestinienne de l’époque, il devait être évident que la richesse des juifs comme Zachée était liée à leur métier. Celui-ci consistait à récolter les taxes pour le compte de l’occupant romain et qui, au passage, prélevaient leur rémunération. D’où leur réputation de collaborateurs et de voleurs. Sur ce personnage, deux acteurs portent un regard contrasté, sans que Luc fasse état d’un contact direct entre eux. D’un côté « tous », de l’autre, Jésus.

Pour « tous », Zachée est un pécheur public, sa richesse en est le signe évident. Aussi, quand Jésus est reçu chez lui, la récrimination est unanime. Le verbe employé ici (diagonguzô) suggère qu’un murmure de mécontentement court dans la foule accourue au passage de Jésus – peut-être amplifié par la jalousie ou le ressentiment. Mais dans le récit de la traversée du désert, ce verbe caractérise la grogne des Israélites insatisfaits de leur situation, une récrimination qui, après l’alliance au Sinaï, prend tous les traits d’une révolte contre Dieu et Moïse (par ex. Nombres 11,1 ; 14,2 ; 16,11). En recourant à ce verbe, Luc pourrait qualifier la réaction de la foule à l’égard de Jésus comme une rébellion contre Dieu. Car le jugement négatif de ces gens vise aussi Jésus : soit il est aveugle et ne voit pas à qui il a affaire, soit c’est un provocateur qui prend plaisir à fréquenter les pécheurs…

Le regard de Jésus est à l’opposé de celui de la foule. Celui qu’il regarde, perché sur son sycomore, c’est un homme qu’il interpelle par son nom. Sa position incongrue manifeste que, tout riche qu’il est, il est aussi insatisfait, désireux d’autre chose. Jésus perçoit ce désir qui l’a poussé à chercher à le voir, au risque de se ridiculiser. Mais ce qu’il lui dit manifeste son propre désir d’être reçu. Pour Zachée, cela signifie que Jésus voie en lui une personne susceptible de l’accueillir : il ne se joint pas à la foule qui l’ostracise en le réduisant à sa richesse mal acquise. On comprend la joie de cet homme de pouvoir accueillir celui qu’il cherchait à voir. Et sans que Jésus lui dise quoi que ce soit, sa présence amène Zachée à prendre le contre-pied de la réputation de pécheur que tous lui font. Riche, il donne la moitié de ses biens ; publicain, il s’engage à corriger toute injustice qu’il aurait commise en suivant ainsi la Loi qui impose au voleur de rendre à autrui le quadruple ce qu’il a pris. C’est seulement alors que Jésus prend la parole : il souligne que Zachée est à présent un juste au regard de Dieu. Il reconnaît en lui un « fils d’Abraham », ce patriarche à qui Dieu a accordé une grande descendance comme signe de ce que la droiture ouvre à l’alliance avec Dieu et rend véritablement fécond.

Avec Zachée, ce que Jésus annonce par la triple parabole du chapitre 15 devient réalité : en s’in­vitant chez le pécheur, il venait chercher la brebis égarée, sauver le fils perdu. Ceux qui murmurent adoptent quant à eux la position du fils aîné. Mais pour Luc, ce sont eux les aveugles : en en restant aux apparences, ils enferment le pécheur dans une condamnation sans appel. En cela, ils s’opposent à dieu qui ne veut pas voir mourir le pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive (Ézéchiel 18,23).

Bible et liturgie

Commentaires des lectures du dimanche par André Wénin

L’Église ne sait pas ce qu’elle perd à négliger le Testament de la première Alliance…

Les textes qu’on lira sous cette rubrique ne sont pas des homélies. J’y propose plutôt un commentaire, à mi-chemin entre une analyse exégétique et une lecture attentive à la fois au texte biblique et à la réalité humaine qui est la nôtre.
La traduction des textes commentés (le plus souvent les passages de l’Ancien Testament et de l’évangile) est très souvent corrigée. La version liturgique est globalement insatisfaisante, en effet. Elle lisse le texte au point d’en gommer les difficultés, c’est-à-dire précisément les points où peut venir "s’accrocher" le commentaire parce qu’ils posent question. Quant au texte de l’Ancien Testament, il est fréquemment amplifié de manière à restaurer le passage dans son intégralité en vue du commentaire. 

André Wénin